Ecologie : le second quinquennat Macron défait le premier

PARIS — C’était la grande loi sur l’écologie du premier quinquennat d’Emmanuel Macron. Qu’en restera-t-il à la fin de l’année ?

Adoptée en juillet 2021, la loi climat et résilience a été, ces derniers mois, sous le feu des attaques de la droite et de l’extrême droite, alors que ses mesures commencent à entrer en vigueur.

Au cours des quelque trois heures d’émission qui lui étaient consacrées sur TF1 mi-mai, Emmanuel Macron n’a guère parlé des enjeux climatiques. Tout juste le président a-t-il fait quelques annonces sur les ambitions de la prochaine conférence des Nations unies sur l’océan à Nice, prévue début juin. Il a également vanté (en exagérant, comme l’ont repéré nos confrères) son bilan sur la baisse des émissions de gaz à effet de serre. Mais n’a pas défendu son texte.

Celui-ci comprenait des mesures touchant à la qualité de l’air, la préservation des sols et l’efficacité énergétique. Elles risquent aujourd’hui d’être au moins détricotées, notamment via le projet de loi de simplification, dont l’examen a repris hier à l’Assemblée.

Certains parlementaires, qui avaient voté la loi climat et résilience inspirée par la Convention citoyenne, sont même les premiers à revenir dessus. “La mobilisation dans les rangs de la majorité pour défendre les mesures votées n’est plus aussi forte”, admet Lionel Causse (EPR), seul rapporteur du texte à l’Assemblée à être encore en poste et actif sur ces sujets.

“On s’est applaudis hier alors qu’on revenait sur des mesures qu’on avait nous-mêmes votées...”, grinçait encore un député macroniste, ce mardi, en référence à la manœuvre de ses collègues du bloc central, la veille, visant à empêcher la gauche et les Ecologistes de trop amender la proposition de loi du sénateur Laurent Duplomb (LR), pour “lever les contraintes” des agriculteurs.

Premières anicroches

Il faut dire qu’il commence à y avoir du “mordant”, comme l’explique Marine Braud, consultante et ancienne conseillère écologie d’Elisabeth Borne à Matignon. Car ces mesures censées transformer des habitudes pour permettre à la France d’atteindre ses objectifs climatiques commencent à avoir des conséquences concrètes.

En matière d’efficacité énergétique, la loi proposait ainsi de classer comme insalubres les logements trop mal isolés, et donc d’interdire leur mise en location. La mise en œuvre se fait par étape et, depuis le début de l’année, ce sont les logements classés comme passoires thermiques (G et G+) qui sont concernés.

A l’occasion d’un texte essayant d’assouplir et clarifier cette interdiction, des députés du RN à Horizons ont proposé de l’abandonner ou de la reporter ad patres.

Sur la préservation des sols, un dispositif a été imaginé en 2021 et vise à ne pas artificialiser de nouveaux sols en 2050, sauf à en rendre d’autres à la nature. Les premières contraintes sont donc encore loin, avec un objectif de réduction de moitié de la bétonisation pour 2031.

Les sénateurs ont déjà obtenu des assouplissements à l’été 2023. Ils se sont remis au travail et une proposition de loi réduisant quasi à néant l’ambition de sobriété foncière et l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) en 2050 a été adoptée mi-mars au Sénat — elle devrait être examinée à la rentrée à l’Assemblée.

Le projet de loi de simplification propose par ailleurs de nombreuses exemptions à cet objectif, notamment pour les sites industriels, sous l’impulsion du gouvernement. Alors ministre de l’Economie, Bruno Le Maire avait plaidé la cause de l’assouplissement, prenant pour exemple la difficulté à installer une usine Tesla en France.

Les députés doivent également se pencher sur un article ajouté au texte qui prévoit la suppression des zones à faibles émissions (ZFE), imaginées pour réduire la pollution de l’air dans les agglomérations.

Changement de thermomètre

Ces attaques en règle au Parlement ont été précédées de tentatives plus discrètes, au sein du gouvernement, d’adoucir les contraintes ces dernières années.

En modifiant le calcul du diagnostic de performance énergétique, qui permet de classer les logements, Christophe Béchu a sorti 140 000 appartements du statut de passoire thermique en février 2024. Quelques semaines plus tard, celui qui était alors ministre de la Transition écologique retardait l’installation de ZFE dans plusieurs villes où la qualité de l’air s’était améliorée, alors que la grogne commençait à monter contre la mesure et que plusieurs villes avaient fait savoir qu’elles ne mettraient pas en place les nouvelles interdictions.

Avec ces évolutions, “les ministres ont changé l’instrument de mesure en disant ne pas toucher à l’ambition de façade”, constate Arnaud Gilles, spécialiste des politiques environnementales et ancien porte-parole du WWF.

Depuis, le gouvernement cherche des compromis, que ce soit en décalant de quelques années l’objectif de réduction de 50% de la bétonisation, ou en pérennisant dans la loi les aménagements annoncés par Christophe Béchu sur les ZFE et les adaptations locales imaginées.

Et toujours en promettant de ne pas renoncer à l’ambition initiale.

En façade et dans les paroles, les objectifs restent les mêmes, souligne Marine Braud, mais les moyens pour les atteindre font débat. “Il y a beaucoup de discours pour dire ‘il faut faire ça autrement’, mais personne ne propose l’autrement. Il n’y a pas d’autrement, il y en a très peu.”

Problèmes de forme, et de fond

Ces mesures “s’inscrivent dans le temps long et nécessitent de la pédagogie”, analyse Lionel Causse, qui semble être le seul de son camp à vouloir poursuivre le travail.

Plutôt que de travailler sur les imprécisions et les solutions d’accompagnement, le débat s’est focalisé sur le report ou l’abandon des mesures, regrette Marine Braud.

Sur les ZFE, les ministres ont bien tenté d’inverser le discours, en partageant le sujet avec les ministres chargés de la Santé, et en parlant davantage de qualité de l’air, encore récemment. Mais dans le même temps, les mesures d’accompagnement, notamment le leasing social qui permet aux plus modestes d’acquérir des véhicules électriques, peinaient à se lancer.

“On a voté quelque chose et, une fois que la loi est votée, on ne met pas suffisamment en œuvre les mesures d’accompagnement. Je trouve ça dommage que le débat ne porte jamais sur comment mieux faire”, poursuit l’ex-conseillère à Matignon.

Pourtant, il y a de la marge. Sur l’artificialisation des sols, par exemple, les élus locaux font face à des injonctions contradictoires. Leur principale recette fiscale reste le foncier, mais on leur demande de le restreindre, ce qui revient pour eux à mordre la main qui les nourrit, comme le détaillent les députées Sandrine Le Feur (EPR) et Constance de Pélichy (Liot) dans un rapport publié récemment.

La mise en œuvre de ces réformes a aussi buté sur la collaboration difficile entre les collectivités locales et l’Etat. Sur France Culture, Antoine Pellion regrettait récemment que les sujets tirés de la Convention citoyenne aient été considérés comme des “sujets nationaux, alors que ce sont des sujets aux enjeux très locaux”.

L’ex-secrétaire général à la planification écologique préconisait un changement de méthode pour donner davantage de place à l’action locale, avec néanmoins un dialogue nécessaire entre les échelons, des communes aux régions en passant par l’Etat. Prenant l’exemple de la sobriété foncière, il expliquait qu’une proposition imposée par l’Etat est mal acceptée, mais qu’une proposition élaborée par les collectivités localement ne permettrait pas d’atteindre les objectifs nationaux.

“A mesure que l’ambition s’est dégradée, l’Etat était moins en soutien des collectivités et a davantage renvoyé la charge”, constate également Arnaud Gilles.

Contexte défavorable

Ces attaques législatives se doublent d’offensives locales. Laurent Wauquiez a combattu la mise en œuvre des politiques de sobriété foncière dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, qu’il présidait avant son retour à l’Assemblée. “On sent bien qu’il y a un souhait de détricoter dans tous les sens”, renchérit Nathalie Chaudon de France nature et environnement Paca. Elle est témoin dans sa région d’interventions de nombreux élus locaux membres du Rassemblement national encourageant l’artificialisation.

“Des gens ont fait monter l’idée qu’à cause de l’objectif ZAN, il n’y aurait plus d’industrie”, déplore Marine Braud. Une “peur totalement infondée”, selon elle, du même acabit que les 10 millions d’automobilistes qui seraient concernés par les ZFE, alors qu’en réalité ils seraient très peu nombreux, selon son analyse.

“On n’a pas réussi à prendre le contre-pied”, regrette-t-elle, imaginant qu’il serait peut-être temps d’utiliser les armes de ses opposants pour regagner du terrain, et de montrer “l’impact de ce qu’on fait”.

Mais Arnaud Gilles met en garde, assurant avoir eu des remontées de différents acteurs locaux : “On est dans un cocon où on pense que c’est un mauvais moment pour parler d’écologie.” En effet, il n’est pas certain que le “backlash” relayé à Paris soit soutenu par une majorité de Français.

“Ces protestations sont le contrecoup de l’injustice, et non de l’écologie”, analysaient les consultants Manon Loisel et Nicolas Rio dans La Grande conversation début mars. Pour que la transition climatique se poursuive, selon eux, il faut placer les débats plutôt sur le terrain de l’injustice que sur celui de l’écologie.

Pauline de Saint Remy a contribué à cet article.